Douce Mère,

Chaque personne qui vient sur terre a-t-elle un but défini qu'elle doit accomplir dam cette vie? Et l'accomplit-elle malgré elle inconsciemment ?

Le 11 août 1965 

Douce Mère,

Souvent les gens qui viennent à l'Ashram pour la première fois sont enchantés de leur visite. Ils sont pleins de louanges pour l'administration méthodique de cette organisation. Mais quand ils connaissent mieux l'Ashram et les sâdhaks, leur admiration commence à diminuer et ils trouvent que les gens du dehors, plus arrogants, sans aucune sympathie, incapables de coopérer, etc... Que dis-Tu, Mère, de tout cela !

 

Quelquefois c'est comme cela, en effet ; et quelquefois c'est l'opposé : d'abord une incompréhension totale, et plus tard, peu à peu, on comprend et on apprécie.

Les deux sont également vrais et incomplets.

Dans le monde actuel tout est mélangé et chacun voit et sent ce qui correspond à sa nature.

À dire vrai, cela n'a aucune importance.

Le 25 août 1965 

Douce Mère,

Je sens vraiment qu'il y a ici un grand manque d'harmonie et de coopération entre nous et entre nos différents départements, et c'est la cause d'une grande perte d'argent et d'énergie. D'où vient cette désharmonie et quand sera-t-elle réparée ?

Ou est-ce seulement un reflet de ma propre nature, cette sensation que j'ai! 

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Voici la meilleure réponse à tes questions, écrite par Sri Aurobindo :

Chacun porte en lui-même les germes de cette désharmonie, et son plus urgent travail est de s'en purifier par une constante aspiration.

Le 1er septembre 1965 

Douce Mère,

Sri Aurobindo écrit dans Ses "Essais sur la Guîta" : "La loi de Vishnou ne peut prévaloir tant que la dette de Roudra ne sera pas payée. " Qu'est-ce que cela veut dire ?

Mère, la situation actuelle en Inde¹ est-elle comme cette dette qui doit être payée à Roudra ?

 

Voici la citation tout entière que j'avais fait préparer d'avance pour ceux qui demandent le pourquoi de la situation actuelle, je te l'envoie, comme cela ta question devient mutile.

"Il ne peut pas y avoir de vraie paix tant que le cœur de l'homme ne méritera pas la paix ; la loi de Vishnou ne peut prévaloir tant que la dette de Roudra ne sera pas payée. Alors se détourner et prêcher la loi de l'unité et de l'amour à une humanité encore non évoluée ? Des instructeurs de la loi de l'amour et de l'unité, il doit y en avoir, certes, car c'est par cette voie que viendra l'ultime salut. Mais tant que l'Esprit des Temps ne sera pas prêt dans l'homme, la réalité ultime et intérieure ne peut pas prévaloir sur la réalité immédiate et extérieure. Le Christ et le Bouddha sont venus et partis, mais c'est Roudra qui tient toujours le monde dans le creux de sa main. En attendant, le féroce labeur de progrès d'une humanité tourmentée et opprimée par les pouvoirs qui sont

 

¹Le 1" septembre, l'armée pakistanaise a franchi la frontière de l'État indien du Jammu et Cachemire.  

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les profiteurs et serviteurs de la force égoïste appelle l'épée du Héros et la parole du prophète de la lutte¹." (Sri Aurobindo)

Le 8 septembre 1965  

Douce Mère,

Malgré Ton message du 16 septembre au Premier. Ministre et au chef de l'armée, 'l'acceptation du "cessez-le-feu" par notre gouvernement n'est-il pas ce qu'il pouvait faire de mieux en les circonstances² ?

 

Ils ne pouvaient pas faire autrement.

Le 29 septembre 1965  

Douce Mère,

Je sens souvent et bien concrètement aussi que Tu me protèges constamment de tous les malheurs de la vie. Mais je me demande très souvent : "Pourquoi la Mère me protège-t-elle et me garde-t-elle avec tant de bonheur, moi qui suis si loin de le mériter!"

 

Parce que ce n'est pas une question de mérite mais de Grâce.

Le 6 octobre 1965  

Douce Mère,

On voit que le monde en général est à présent dans une sorte de déséquilibre et de chaos. Est-ce que cela signifie qu'il se prépare à la manifestation d'une force nouvelle, à la descente de la Vérité, 

 

¹Essai sur la Guîtâ.

²Le conflit indo-pakistanais de 1965 qui s'est terminé par le cessez-le-feu des 22-23 septembre, puis par l'accord de Tachkent, alors que les troupes indiennes étaient proches de la victoire. Le 16 septembre, Mère avait envoyé le message suivant : "C'est pour le triomphe de la Vérité que l'Inde se bat et se battra jusqu'à ce que l'Inde et le Pakistan redeviennent UN parce que c'est la vérité de leur être.  

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ou est-ce le résultat de l'action des forces hostiles qui se révoltent contre cette descente ? Et quelle place occupe l'Inde dans tout cela ?

 

C'est les deux à la fois, une façon chaotique de se préparer. L'Inde devrait être le guide spirituel qui explique ce qui se passe et aide à hâter le mouvement '; mais malheureusement, dans son aveugle ambition d'imiter l'Occident, elle est devenue matérialiste et néglige son âme.

Le 13 octobre 1965 

Douce Mère,

On sait que l'on ne doit pas faire certaines choses et on ne veut pas vraiment les faire, mais on les fait . quand même. Pourquoi donc ? Comment l'éviter ?

 

C'est ainsi quand on manque de volonté et de force de conscience.

Toutes deux peuvent s'acquérir si on est sincère dans son aspiration.

Le 20 octobre 1965  

Douce Mère,

Au sujet de la transformation individuelle et de la transformation sociale, Tu dis : "Comme le milieu réagit sur l'individu et que, d'autre part, de la valeur de l'individu dépend la valeur du milieu, les deux œuvres doivent être menées de front. Mais cela ne peut se faire que grâce à la division du travail, ce qui nécessite la formation d'un groupement, hiérarchisé si possible¹."

Mère, je ne comprends pas ce que Tu entends par la formation d'un groupement hiérarchisé.

 

¹Paroles d'autrefois, éd. 1983, p. 56.

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Un groupement hiérarchisé veut dire un groupement où les activités et les attributions sont organisées suivant la valeur individuelle avec un chef au centre. L'organisation militaire, par exemple, est une hiérarchie.

 

Ci-joint le schéma des anciennes hiérarchies traditionnelles.

1-4-8-16

et ainsi de suite.

  

Le 27 octobre 1965

 

Douce Mère,

Existe-t-il un groupement hiérarchisé ici, à l'Ashram ? Mère, je veux savoir davantage,.mais je ne sais pas le formuler !

 

Tout groupement, s'il est vrai, c'est-à-dire fait selon la valeur des individus qui le composent, doit nécessairement être hiérarchique.

Mais il y a des obstacles importants à la réalisation de cette hiérarchie :

1) D'abord, quand le groupement est incomplet, c'est-à-dire s'il ne contient pas tous les membres nécessaires à la constitution de la hiérarchie et que certaines fonctions ou certains intermédiaires manquent.

2) L'indiscipline de certains membres refusant complètement ou partiellement d'occuper le poste qui leur est assigné.

Quand l'ordre et l'harmonie sont établis, la hiérarchie s'organise tout naturellement et spontanément.

Le 3 novembre 1965

Douce Mère,

Pourquoi a-t-on peur ? D'où vient la peur ?  

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La peur est une invention des forces hostiles qui l'ont créée comme le meilleur moyen de dominer les êtres vivants, animaux et hommes.

Ceux qui sont purs, c'est-à-dire exclusivement sous l'influence Divine, n'ont pas peur.

Le 10 novembre 1965  

Douce Mère,

Tu écris dans les Entretiens que "chaque fois que quelque chose de la Vérité et de la force divines descend pour se manifester sur la terre, un changement est effectué dans l'atmosphère¹."

1) Est-ce que ce changement est toujours violent et destructeur, comme une révolution ou une guerre ?

 

Pas nécessairement. C'est la résistance à la Force Nouvelle, dans la conscience humaine, qui 'se traduit par une guerre ou une révolution.

Quand la résistance est moindre tout se passe harmonieusement.

 

2) Et la réciproque est-elle toujours valable : s'il y a une guerre ou une révolution, est-ce le signe d'une descente de la Vérité ?

 

Pas nécessairement. La folie humaine profite de la moindre cause pour se manifester.

Le 17 novembre 1965 

Douce Mère,

Tu dis : "Chacun représente ici une impossibilité à résoudre²." Peux-Tu m'expliquer ce que cela veut dire exactement?

 

¹Conversations, p. 94. 2

²Ibid, p. 151.

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C'est une façon ironique de dire que les cas les plus difficiles au point de vue de la transformation sont assemblés ici afin de concrétiser et synthétiser le travail de transformation de la terre pour préparer la nouvelle création.

Le 1er décembre 1965

Douce Mère,

Tu m'avais dit de rentrer au-dedans, dans la profondeur de mon cœur, pour Te trouver là, établie. Mais Mère, je n'arrive pas à rentrer dans le cœur. Je sens pendant la méditation que ma conscience vole autour d'une forteresse impénétrable. Que faut-il faire pour réussir à faire ce que Tu m'as dit ?

 

C'est parce que tu essayes d'entrer avec une conscience superficielle qui n'a pas de contact avec les états d'être intérieurs. Il faut quitter cette conscience extérieure et pénétrer dans une conscience plus subtile, alors la forteresse ne sera plus impénétrable.

Le 22 décembre 1965  

Douce Mère,

Que faut-il faire pour servir la Vérité ? Faut-il tout d'abord la vivre ?

 

Pour la servir, il faut la vivre.

Pour la vivre, il faut nécessairement la servir.

Et pour tous les deux, il faut le vouloir avec sincérité et persistance.

Le 5 janvier 1966 

Douce Mère,

Il y a une tendance parmi la majorité d'entre nous ici à diriger notre vie et nos programmes selon les habitudes de la société en général. On dit: "Il faut penser aussi à l'opinion des gens du dehors.  

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Vivant dans la société générale, il faut être rationnel et mener une vie en accord avec eux. " Douce Mère, que dis-Tu de tout cela et quelle doit être notre attitude envers les coutumes et les lois de la société ?

 

Si la majorité des gens ici pensent et sentent comme cela, c'est une preuve évidente que la majorité n'est pas du tout prête à la vie nouvelle, ni même prête à se préparer à la vie nouvelle. Et à dire vrai, ils feraient beaucoup mieux de retourner à la vie ordinaire et d'en avoir l'expérience au lieu de profiter des conditions exceptionnelles d'existence qu'ils ont ici, sans être dignes d'en jouir.

Le 12 janvier 1966 

Douce Mère,

Auparavant, Tu étais très stricte pour permettre aux gens de venir vivre à l'Ashram. Maintenant ce n'est plus ainsi. Pourquoi?

 

Tant que l'Ashram était réservé à ceux qui voulaient pratiquer le yoga, il était naturel d'être strict.

Dès que les enfants ont été admis ici, il n'était plus possible d'être strict et la nature de la vie a changé.

Maintenant, l'Ashram est devenu une représentation symbolique de la vie sur terre et tout peut y trouver place, pourvu qu'il y ait la volonté de progresser vers une vie plus divine.

Le 19 janvier 1966  

Douce Mère,

Je me demande si je pratique le yoga! Mais la réponse n'est pas sûre. Peux-Tu me dire où je me trouve et comment je puis progresser sur cette route ?

 

Par le fait que tu vis sur terre, tu fais un yoga, même si tu ne le sais pas ; et par le fait que tu vis ici, tu es aidé dans ton yoga au maximum de tes possibilités.  

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La seule chose qui te manque, c'est d'être conscient.

Le 2 février 1966 

Douce Mère,

Tu dis que "par le fait que tu vis sur terre, tu fais un yoga" et Tu m'avais dit aussi que "l'Ashram était réservé à ceux qui voulaient pratiquer le yoga" ; et encore je crois que Tu as dit quelque part : "Tout le monde ici n'est pas destiné au yoga." Alors...

 

Pauvre garçon ! te voilà éberlué...

Eh bien, tous les trois sont vrais, mais à des plans différents, et pour comprendre quelque chose au problème, il faut atteindre la région où les trois se complètent et s'unissent.

Le 9 février 1966  

Douce Mère,

Quand Tu dis :

(1) "Par le fait que tu vis sur terre, tu fais un yoga", veux-Tu dire que c'est le yoga ou le progrès naturel et inévitable de l'évolution ?

(2) "L'Ashram était réservé à ceux qui voulaient pratiquer le yoga", c'est-à-dire seulement à ceux qui pratiquent consciemment ?

(3) "Tout le monde ici n'est pas destiné au yoga", c'est-à-dire qu'ils sont incapables de le faire consciemment ?

 

Oui.

Le 16 février 1966 

Douce Mère,

Comment augmenter la réceptivité ?  

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La réceptivité est en proportion du don de soi.

Le 2 mars 1966  

Douce Mère,

Il y avait un temps, je Te voyais souvent dans mes rêves et même parfois je voyais aussi Sri Aurobindo. Mais depuis longtemps je ne goûte plus ce bonheur. Pourquoi ? Que signifie cela ?

 

La meilleure manière de nous voir dans tes rêves, c'est de te concentrer sur nous avant de dormir. Le fais-tu maintenant comme tu le faisais auparavant ? C'est aussi le moyen de ne pas aller dans des endroits indésirables pendant ton sommeil, car dans ces endroits-là, tu es sûr de ne pas nous rencontrer. Essaye, et tu verras le résultat.

Le 23 mars 1966  

Douce Mère,

Nous sommes censés tenter quelque chose que personne n'a jamais encore essayé. Mais Mère, n'est-il pas vrai que nous avons tendance maintenant à diriger notre vie et nos activités de plus en plus vers les principes et les manières de la vie ordinaire? Dans ce cas, ne sommes-nous pas en train de nous éloigner du vrai chemin ?

 

Tu es encore dans la vieille ornière qui sépare la spiritualité de la vie. Tandis que Sri Aurobindo a déclaré : "Toute la vie est un yoga" et affirmé que c'est dans la vie qu'on doit faire le yoga. Tu semblés l'avoir oublié.

Le 30 mars 1966 

Douce Mère,

Cette immense liberté qui est à notre disposition, n'est-elle pas dangereuse pour ceux qui ne sont pas encore éveillés, qui sont encore inconscients ? Comment expliquer cette chance, ce bonheur, qui nous est donné?  

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Le danger et le risque font partie de tout mouvement en avant. Sans eux, rien ne bougerait jamais ; et aussi ils sont indispensables pour former le caractère de ceux qui veulent progresser.

Le l3 avril 1966  

Douce Mère,

Comment pourrais-je me préparer au Darshan du 24 avril?

 

Regarde attentivement en toi-même pour découvrir ce qui est pour toi la chose la plus importante, celle dont tu sens que tu ne pourrais pas te passer.

C'est une découverte intéressante.

Le 19 avril 1966 

Douce Mère,

Pourquoi la colère existe-t-elle ?

 

Je suppose que tu demandes d'où provient la colère ?

La colère est une réaction du vital à un choc quelconque qui lui a été désagréable ; et quand il s'agit de paroles ou de pensées, le mental subit l'influence du vital et réagit aussi violemment. Toute manifestation de colère est le signe d'un manque de contrôle sur soi.

Le 11 mai1966 

Douce Mère,

Il y a deux jours, j'étais avec Toi dans mon rêve et Tu as parlé avec moi pendant bien longtemps. Je ne me souviens pas de toute la conversation, mais l'impression qui me reste est que Tu n'es pas très contente des questions que je Te pose chaque mercredi. Est-ce vrai?  

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Que tu m'aies vue et entendue est signe de progrès et, de cela, je suis satisfaite. Mais il est vrai que je te trouve un peu paresseux et indifférent mentalement à l'occasion que je te donne chaque semaine de me poser une question. Tes questions sont assez banales et ne donnent pas l'impression que tu sois vraiment à la recherche des secrets de la vie et du monde.

Le 18 mai 1966  

Douce Mère,

Est-ce que l'indifférence et l'absence de curiosité mentales sont une sorte d'inertie mentale ?

 

En général, ils sont le résultat d'une inertie mentale, à moins qu'on n'ait obtenu ce calme et cette indifférence par une sâdhanâ très intense résultant en une égalité parfaite pour laquelle le bon et le mauvais, le plaisant et le déplaisant, n'existent plus. Mais dans ce cas, l'activité mentale est remplacée par une activité intuitive de qualité très supérieure.

Le 25 mai 1966  

Douce Mère,

Comment sortir de cette paresse mentale et de cette inertie ?

 

Le vouloir avec persistance et obstination. Faire chaque jour un exercice mental de lecture, d'organisation et de développement.

Ceci doit alterner dans la journée avec les exercices de silence mental dans la concentration.

Le 1er juin 1966  

Douce Mère,

La présence et l'intervention des Américains au VietNam sont-elles justifiables ?

 

À quel point de vue poses-tu cette question ?  

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Si c'est au point de vue politique — la politique est en plein mensonge, et je ne m'en occupe pas.

Si c'est au point de vue moral, la morale est le bouclier que les hommes ordinaires brandissent pour se protéger de la Vérité.

Si c'est au point de vue spirituel, seule la Volonté Divine est justifiable et c'est Elle que les hommes travestissent et déforment dans toutes leurs actions.

Le 6 juillet 1966 

Douce Mère,

J'avais posé ma dernière question du point de vue spirituel et par Tes réponses je conclus que l'action américaine n 'est pas justifiable du tout. Mais Mère, le monde n'est-il pas en danger d'être avalé par les communistes et c'est pourquoi les Américains et leurs Alliés sont en train de sauvegarder la liberté de l'homme ? Est-ce là la Volonté Divine ?

 

L'opinion que tu exprimes est l'opinion des Américains et d'un grand nombre d'êtres humains qui pensent comme eux. Mais les communistes et tous ceux qui ont confiance en l'idéal communiste ont l'opinion contraire, sans compter toutes les opinions multiples et diverses sur les sujets sociaux et politiques — et tout cela n'est que des OPINIONS et n'a aucune valeur au point de vue Divin qui n'a pas d'opinion mais une vision totale du tout dans son ensemble et du but à atteindre, ce qui est la seule chose d'importance.

Tout ce qui est mental est forcément une opinion et n'exprime qu'une fraction infinitésimale de la Vérité.

Le 13 juillet 1966 

Douce Mère,

Certains racontent que Tu as dit : "Parmi les 1000 personnes qui sont ici, il n'y en a que 250 à peu près qui comprennent  

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le yoga de Sri Aurobindo, 45 seulement qui le pratiquent, 5 qui sont capables de la réalisation et une seule qui peut se transformer. " Quelle est la vérité ?

 

J'ai peut-être dit quelque chose d'analogue. Mais la précision des chiffres est certainement de la fantaisie.

Il est vrai que le nombre de ceux qui prennent le yoga au sérieux n'est pas considérable...

Mais la Grâce Divine est infinie !

Le 20 juillet 1966 

Douce Mère,

Je sens que c'est bien honteux de notre part de gaspiller la Grâce Divine, d'abuser de cet unique privilège qui nous est accordé ici. Mais Mère, pourquoi faisons-nous ainsi? Car chacun de nous a sûrement senti et goûté — au moins une fois dans sa vie, dans un moment béni — la Splendeur infinie qui est à notre portée, qui nous attend. Tout de même, il y en a si peu parmi nous qui prennent le yoga au sérieux! Pourquoi?

 

C'est tout simplement de l'inconscience, l'incoercible

TAMAS.

Le 27juillet 1966

 

(Le moniteur a été invité à suivre un cours d'enseignement pratique à Calcutta.)

 

Ceux qui sincèrement veulent apprendre ont ici toutes les possibilités pour le faire. La seule chose qu'on a dehors, mais qui n'est pas ici, c'est la contrainte morale d'une discipline extérieure.

Ici on est libre et la seule contrainte est celle qu'on se donne à soi-même, quand on est SINCÈRE.  

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Maintenant c'est à toi de décider.

Le 3 août 1966 

Douce Mère,

J'ai été très content de recevoir Ta réponse et je décide de ne pas y aller. D'ailleurs, je doutais que Tu approuves cette proposition. Mais tout de même j'avais les raisons suivantes... (Le sâdhak énumère ces raisons.) quand je T'ai demandé si je pouvais accepter cette invitation.

 

Par ta lettre je peux voir que tu as vraiment un grand désir d'accepter l'invitation... Je ne veux donc pas te priver de cette expérience et je te dis : "Tu peux y aller."

Cette décision est finale.

Le 4 août 1966 

Douce Mère,

Est-ce que je peux avoir deux photos de Sri Aurobindo et de Toi avec Tes bénédictions pour les garder avec moi quand je suis loin de Pondichéry ?

 

Veux-tu vraiment partir ?

Le 22 août 1966 

Douce Mère,

Une dernière note sur cette fameuse affaire de l'invitation qui a créé un tas de malentendus partout.

Mère, je ne Te comprends pas ! Pourquoi une fois Tu me dis "Tu peux y aller, cette décision est finale", et plus tard, quand je viens chez Toi, Tu l'affirmes de nouveau et Tu me donnes l'assurance que Tu seras avec moi toujours et que je peux aller sans peur, que cela me fera du bien, etc., malgré mon insistance que je n'ai plus envie d'y aller après avoir reçu Ta première lettre.  

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Naturellement, après cela, je fais tous les arrangements nécessaires. X s'occupe de mon départ. Mais plus tard, Tu réponds à X que Tu m'as permis parce que Tu as appris de moi qu'il approuvait que j'aille là-bas. C'est bizarre !

Vraiment je ne comprends rien à tout cela, sauf que Tu nés pas enthousiaste que je parte. Mais pourquoi toute cette complication ? Je ne sais pas ce que X pense de moi, mais il est vrai que je l'ai mis dans une situation très compliquée et je le regrette.

Mère, après Ta dernière question je n'ai plus envie d'y aller. JE N'IRAI PAS. C'est ma décision finale. Ce fameux chapitre est fermé.

 

C'est très bien. Et tout ce que j'ai fait était justement pour t'amener à cette décision !

Le 23 août 1966  

Douce Mère,

L'Inde est censée être le Gourou du monde afin d'établir la vie spirituelle sur terre. Mais, Mère, pour occuper cette haute position, elle doit être digne politiquement, moralement et physiquement, n'est-ce pas ?

 

Sans aucun doute — et, pour le moment, il y a fort à faire!

Le 7 septembre 1966 

Douce Mère,

Pourquoi cette condition chaotique dans notre gouvernement actuel? Est-ce le signe d'un changement pour le bien, pour le règne de la Vérité ?

 

C'est la pression sur toute la terre de la force de Vérité qui fait surgir partout le désordre, la confusion et le mensonge dans un refus d'être transformés.

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La victoire de la Vérité est certaine, mais il est difficile de dire quand et comment elle se produira.

Le 14 septembre 1966  

Douce Mère,

Comment peut-on pratiquer les disciplines yoguiques sans croire en Dieu ou au Divin¹ ?

 

Pourquoi ? C'est très facile. Parce que ce sont seulement des mots. Quand on pratique sans croire en Dieu ou au Divin, on pratique pour atteindre une perfection, pour faire des progrès, pour toutes sortes de raisons.

Est-ce qu'il y a beaucoup de gens (je ne parle pas de ceux qui ont une religion, ceux-là apprennent un catéchisme quand ils sont petits et ça ne signifie pas grand-chose, mais des gens pris comme ils se trouvent), est-ce qu'il y en a beaucoup qui croient au Divin ? Pas en Europe en tout cas. Mais même ici, il y en a pas mal par tradition qui ont une "divinité de la famille", mais enfin cela ne les gêne pas quand ils sont mécontents de prendre la divinité et d'aller la jeter dans le Gange ! Ça leur arrive, j'en connais qui l'ont fait ; ils avaient une Kâlî de famille dans leur maison, ils l'ont bien prise et jetée dans le Gange parce qu'ils étaient mécontents d'elle — si l'on croit au Divin, on ne peut pas faire des choses comme cela.

Je ne sais pas... croire au Divin ? On a soif d'une certaine perfection, peut-être même de se surmonter soi-même, d'arriver à quelque chose de supérieur à ce qui est ; on a, quand on est philanthrope, une aspiration à ce que l'humanité soit meilleure ou qu'elle soit moins malheureuse et moins misérable ; toutes sortes de choses comme cela ; on peut pratiquer le yoga pour cela, mais ce n'est pas croire. Croire, c'est avoir la foi qu'il ne peut pas y avoir de monde sans le Divin, c'est cela ; que l'existence même du monde prouve le Divin. 

 

¹Mère a répondu de vive voix à cette question.

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Et pas une "croyance", justement, pas quelque chose à quoi l'on a pensé ou qui vous a été appris, rien de tout cela : la foi. La foi qui est une connaissance vécue, non une connaissance apprise, que l'existence du monde surfit à prouver le Divin. Sans Divin pas de monde. Et c'est tellement évident, n'est-ce pas, qu'on a l'impression que pour penser autrement, il faut être un peu stupide. Et le "Divin", pas dans le sens de "raison d'être", de "but", d'"aboutissement", pas tout cela : le monde tel qu'il est prouve le Divin. Parce que c'est le Divin sous un certain aspect (suffisamment déformé, mais enfin).

Pour moi, c'est encore plus fort que cela : je regarde une rosé, cette chose qui tient une telle concentration de beauté spontanée (pas fabriquée : spontanée, un épanouissement), il n'y a qu'à voir ça, on est sûr qu'il y a le Divin, c'est une certitude. On ne peut pas, c'est impossible de ne pas croire. C'est comme ces gens (c'est fantastique), ces gens qui ont étudié la Nature, étudié vraiment, d'une façon approfondie comment tout fonctionne et se produit et existe ; comment peut-on étudier sincèrement, avec attention et soin, sans être absolument convaincu que le Divin est là ? Nous l'appelons "Divin" —le Divin, c'est tout petit ! (Mère rit) L'existence pour moi, est une preuve incontestable qu'il y a... qu'il n'y a que Ça — quelque chose que nous ne pouvons pas nommer, que nous ne pouvons pas définir, que nous ne pouvons pas décrire, mais que nous pouvons sentir et devenir de plus en plus. Un Quelque chose qui est plus parfait que toutes les perfections, plus beau que toutes les beautés, plus merveilleux que toutes les merveilles, que même une totalité de tout ce qui est n'arrive pas à exprimer — et il n'y a que Ça. Et ce n'est pas un Quelque chose qui flotte dans rien : il n'y a que Ça. .

Le 8 octobre 1966 

Douce Mère,

Comment savoir si nos actes, nos pensées et nos aspirations ne sont pas colorés par le désir vital quand, pour notre bon sens, ils semblent justes ?  

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C'est une question de sincérité intérieure. Le bon sens n'est pas un juge parce que c'est une fonction mentale d'un ordre assez inférieur.

Il y a d'ailleurs un moyen très simple de savoir. On n'a qu'à imaginer que la chose qu'on veut faire ne se fera pas, et si cette imagination crée le moindre malaise, alors on peut être sûr de la présence du désir.

Le 12 octobre 1966  

Douce Mère,

Dans ce yoga intégral de Sri Aurobindo, le travail a une place d'importance capitale, n'est-ce pas? En ce cas, quelle place occupe la méditation ?

 

Le travail ne dure pas 24 heures par jour.

Il y a place pour beaucoup d'autres activités qui ont leur raison d'être dans un yoga intégral.

Le 26 octobre 1966  

Douce Mère,

Dans le conte que Tu as écrit, "Les Vertus", Tu donnes la description de plusieurs vertus. Quelle est la plus nécessaire ?

 

LA SINCÉRITÉ.

Le 2 novembre 1966  

Douce Mère,

Voilà plusieurs années que nous entendons dire que l'Ashram est dans un état terrible financièrement, et nous le voyons bien de temps en temps. Mais Mère, nous voyons également des dépenses extravagantes par certains individus et certains départements.

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D'ailleurs, ces dépenses ne sont possibles que par Ta générosité. Alors, comment peut-on dire que l'Ashram est dans une crise financière ?

 

Mais c'est peut-être bien parce que certains individus et certains départements font des dépenses extravagantes qu'il y a une crise financière !...

Autrement tout va bien.

Le 30 novembre 1966  

Douce Mère,

Ta réponse n'explique rien, car ces dépenses, c'est Toi qui les ordonnes, non ?

 

Pas toujours.

 

Au moins Tu y consens.

 

Quelquefois.

 

Lorsqu'on s'assoit en méditation, on peut quelquefois réussir à faire le silence mental, mais comment fixer cela en une expérience constante Parce que dès l'instant où l'on se jette dans les activités, le trouble mental recommence !

 

On peut avoir un mental tranquille sans être dans un silence complet — on peut avoir une activité sans trouble. L'idéal est de pouvoir agir sans sortir de la tranquillité mentale.

On peut tout faire, tout en gardant le mental tranquille, et ce que l'on fait, on le fait mieux.

 

Faut-il suivre cette méthode "élargissement de la conscience" pour arriver à la maîtrise de soi?  

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L'élargissement de la conscience est nécessaire pour tous ceux qui veulent vivre une vie intelligente et libre, sans même qu'il soit question de Yoga et d'aspiration à la Vie Divine.

Le 7 décembre 1966

 

Lorsque j'ai entendu que X s'était noyé dans un étang, à Gingi, pendant l'excursion, j'étais incapable de le croire ou d'être choqué par cette nouvelle. La seule question qui se posait en moi était : comment est-ce possible ! Mère savait que nous étions à Gingi, donc Sa protection est avec chacun de nous. Alors comment est-ce possible ?

 

La protection est sur le groupe — et si le groupe a une action coordonnée et disciplinée, la protection agit. Mais quand un individu a une action indépendante, la protection n'agit qu'en mesure de sa foi.

Le 14 décembre 1966 

Douce Mère,

Dans le message du 24 novembre, Sri Aurobindo parle de l'influence de la Compassion et de la Grâce divine¹. Mais quelle est la différence entre les deux ?

 

La compassion veut soulager la souffrance de tous, qu'elle soit ou non méritée.

La Grâce ne reconnaît pas à la souffrance le droit d'exister et l'abolit.

Le 21 décembre 1966  

Quelles sont les qualités requises pour être appelé "un vrai enfant de l'Ashram" ?

 

¹"Il y a trois pouvoirs [qui gouvernent la vie terrestre : (1) la Loi cosmique, Karma ou autre ; (2) la Compassion divine qui agit sur tous ceux qu'elle peut saisir en dépit des filets de la Loi, pour leur donner leur chance; (3) la Grâce divine, dont l'action est plus incalculable, mais aussi plus irrésistible que celle des deux autres." (Lettres sur le Yoga - III, éd. 1985, p. 124.)  

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Sincérité, courage, discipline, endurance, foi absolue en l'œuvre Divine et confiance inébranlable en la Grâce Divine. Tout cela doit être accompagné d'une aspiration soutenue, ardente et persévérante et d'une patience sans limite.

 

Bonne Année

Le 28 décembre 1966

 

Il est dit que rien n'est en nous, tout vient du dehors. Il est dit aussi ailleurs que notre vision de l'extérieur (du monde autour de nous) est la réflexion de notre être intérieur. Peux-Tu m'expliquer un peu ces deux phrases ?

 

Pour comprendre ces apparentes contradictions, il faut s'élever au niveau intellectuel où on peut mettre toutes les idées contraires face à face et les assembler en une synthèse compréhensive.

 

Tu m'avais écrit une fois que "les autres sont un miroir qui vous renvoie l'image de ce que vous êtes" Peux-Tu m'expliquer cela ?

 

Les choses qui vous choquent le plus chez les autres sont celles contre lesquelles on lutte en soi-même ou que l'on fait effort pour supprimer en soi. Savoir cela vous apprend à être patient.

Le 1er février 1967 

Douce Mère,

Dans les cartes que Tu envoies aux gens le jour de leur fête, souvent Tu écris simplement "Bonne fête à X, avec mes bénédictions". Mais quelquefois, Tu écris beaucoup d'autres choses comme : "Pour qu'il naisse à la vie véritable" ou "pour une année de grand progrès", etc. De quoi dépend toute cette variation ?  

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De la condition de celui à qui j'écris la carte et de son état de conscience qui varie suivant les moments et les années.

Le 8 février 1967  

Douce Mère,

L'homme ordinaire est souvent dirigé dans la vie par sa conscience, n 'est-ce pas ? Alors qu 'adviendra-t-il de celui qui n 'a pas de conscience, qui l'a perdue en la méprisant trop souvent ?

 

Ce que l'on appelle généralement "la conscience" est une formation mentale basée sur l'idée du bien et du mal, un être moral ou plutôt une fonction de bonne volonté qui essaye de maintenir l'individu dans ce que l'on est convenu d'appeler le droit chemin.

Cette fonction sert de défense contre les forces hostiles qui s'emparent assez facilement de celui qui a méprisé les conseils de sa conscience.

Mais tout cela est une approximation mentale de la Vérité. Ce n'est pas la Vérité elle-même.

Le 15 février 1967 

Douce Mère,

Pourquoi, chaque fois que l'on pense à Toi, sent-on le besoin d'un rapprochement physique ? Quelle valeur a le contact physique ?

 

1) Quand on est plus conscient dans le physique que dans le vital et le mental, le rapport physique semble plus réel et plus tangible.

2) Pour ceux qui ont sérieusement commencé le yoga dans le corps, le rapport physique est naturellement une aide puissante.

Aux premiers, je demande de faire un effort pour établir non seulement un rapport psychique (qui est toujours là, même lorsqu'ils n'en sont pas conscients) mais aussi un rapport mental et vital qui rend la relation extérieure moins indispensable.  

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Aux autres, je tâche de leur apprendre à élargir leur conscience physique pour pouvoir profiter, même à distance, de ma présence physique.

Le 22 mars 1967 

Douce Mère,

Quand on sort d'ici, on sent une sorte de vide au-dedans. Même si on a tous les conforts physiques, il y manque encore quelque chose. On n'est pas très joyeux. On veut revenir aussi vite que possible. Peux-Tu m'expliquer la cause de cette sensation ? Pourquoi ne se sent-on pas même libre ?

 

Peut-être, c'est parce que tu as une âme.

Le 12 avril 1967 

Douce Mère,

Que veux-Tu dire par Ta réponse de la dernière fois ? Est-ce que tout le inonde n'a pas une âme ?

 

Tout le monde n'est pas conscient de son âme et très peu nombreux sont ceux qui sont guidés par leur âme.

Le 19 avril 1967  

Douce Mère,

En général, je me sens bien content de la vie telle qu'elle est, le temps passe vite. Mais il y a des moments où je sens que je ne fais pas de grands progrès. Je suis encore dans les ornières des habitudes vieilles et mesquines qui ne me rendent pas libre.

 

Le caractère peut changer et doit changer. Mais c'est un travail long et minutieux qui demande un effort soutenu et une grande sincérité.

Le 26 avril 1967

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